ANTOINE DE SAINT-EXUPERY : ÉCRIVAIN, MILITAIRE, RÉSISTANT

Antoine de Saint-Exupéry et son avion l’Intransigeant

Photographie d’Antoine de Saint-Exupéry devant son avion, l’Intransigeant (non datée)

  

 

            Antoine de Saint-Exupéry est né le 29 juin 1900 à Lyon. A l’âge de 12 ans, il devient fasciné par l'aviation après avoir vécu son baptême de l'air. En 1914, il obtient un prix pour l'une de ces œuvres. Ces deux amours, le pilotage et l’écriture, ne le quitteront jamais.

  

         Durant l’entre-deux-guerres, il est d’abord pilote civil pour la compagnie Latécoère (future Aéropostale), basée à Toulouse, non loin de notre Lycée. Puis il devient pilote militaire en 1939, et est promu Caporal. La débâcle de 1940 le force à quitter le pays pour New-York, où il a pour rôle de convaincre les Américains d’entrer en guerre. Il est en effet très célèbre là-bas grâce à ses premiers livres, surtout Vol de nuit (1931).

 

 

Aquarelle du Petit Prince par Saint-Exupéry

Aquarelle du Petit Prince par Saint-Exupéry

 

 

 Durant son exil au États-Unis, alors que la France est occupée, il écrit deux nouvelles œuvres majeures : Pilote de guerre (1942), livre dans lequel il donne sa vision personnelle de la défaite de 1940 et de l'occupation Allemande, puis Le Petit Prince en 1943.

 

Le 31 juillet 1944, il est abattu en vol lors d'une mission pour les Forces françaises libres afin de préparer le débarquement en Provence. Si Antoine de St-Exupéry a résisté par ses actes de bravoure, comment a-t-il aussi résisté par les mots ?

 

       

I/ Pilote de guerre : une œuvre littéraire de résistance 

 

Première de couverture de l’édition originale de « Pilote de guerre » Saint Exupéry

Première de couverture de l’édition originale de « Pilote de guerre »

 

 

       Antoine de Saint-Exupéry quitte la France pour les Etats-Unis le 17 juin 1940, jour où le Maréchal Pétain prononce son discours annonçant la signature d’un armistice avec l'Allemagne cinq jours plus tard.

 

      C’est durant cet exil forcé que l’auteur commence à écrire Pilote de Guerre. Les premières éditions de son œuvre en anglais paraissent en 1942 aux éditions de Reynal & Hitchcock, sous le titre Flight to Arras (« Vol pour Arras »). Ce nom original fait référence à une mission aérienne qu’il a menée à partir du 23 mai 1940 au-dessus de la commune d'Arras, et qu’il raconte dans le livre. Il connaît un très grand succès dès sa sortie aux Etats-Unis.

 

      En France, le roman est publié par Gallimard. Il est d’abord autorisé par le régime de Vichy, en quantité limitée, mais devint interdit par le régime nazi en février 1943 car il met l’accent sur le fait que la France s’est battue avec courage en mai-juin 1940. Dans ce roman, Saint-Exupéry évoque aussi un pays qui refuse la défaite, et une civilisation occidentale qui doit l’emporter sur l’idéologie nazie parce qu’elle lui serait supérieure. Malgré cette censure, de nombreuses éditions clandestines continuent de le publier : le simple fait d’acheter et de lire ce livre était une forme de résistance. 

 

Edition clandestine de Pilote de guerre imprimée en 1943 à Lyon Saint Exupéry

Couverture d’une édition clandestine de Pilote de guerre imprimée en 1943 à Lyon .

 

 

            Dans son œuvre, Saint-Exupéry nous fait le récit de la défaite de la France, en évoquant les humiliations, les horreurs subies et la collaboration spontanée de soldats vaincus en juin 1940 : « Pour la première fois nous avons vu des soldats vaincus célébrer aussitôt le triomphe du vainqueur, s'avouer ses complices et jeter en hommage à ses pieds le témoignage de leurs discordes » écrit-il.

 

Tout au long de Pilote de guerre, Antoine de Saint-Exupéry nous fait part d'une victoire possible grâce à l’implication de chaque citoyen Français. Et il rend hommage à tous ceux qui se sont sacrifiés. Voici deux citations clef de son œuvre, qui explique qu’elle ait été censurée et qu’elle puisse être vue comme une œuvre de résistance : 

 

 

« Il est beau de se sacrifier : quelques-uns meurent pour que les autres soient sauvés ».

 

« Cette guerre y conserve son nom véritable : le combat de l'Occident contre le nazisme ».

 

 

Pour Saint-Exupéry, si la France veut vaincre, elle doit mériter ses valeurs : « devenir ce que nous n'étions qu'en paroles : égaux, libres et fraternels », comme le résumait Les lettres françaises en avril 1943. Ce livre très fort porte aussi un message pour les générations futures : « La vérité de demain se nourri de l'erreur d'hier ». Nous voyons donc ce livre comme un appel à ne pas, aujourd’hui, reproduire les maladresses qui ont coûté la victoire à la France en 1940. Un appel à se montrer justes, tolérants, à rester unis. A toujours résister.

 

 

II/ Analyse personnelle d'un passage de Pilote de guerre

  

     Nous avons voulu analyser un passage du roman Pilote de guerre d’Antoine de Saint-Exupéry qui nous a particulièrement marqués. Il se trouve au début du chapitre XVII du livre :

 

Manuscrits de Pilote de Guerre Saint-Exupéry New-York.

Manuscrits de Pilote de Guerre, rédigés sur des feuillets de l'hôtel où Saint-Exupéry séjournait à New-York.  

 

 

 

« Il est une loi fondamentale : on ne change pas sur place des vaincus en vainqueurs. (...) La victoire seule noue. La défaite non seulement divise l'homme d'avec les hommes, mais elle le divise d'avec lui-même. Si les fuyards ne pleurent pas sur la France qui croule, c'est parce qu'ils sont vaincus. C'est parce que la France est défaite, non autour d'eux, mais en eux-mêmes. Pleurer sur la France serait déjà être vainqueur.

 

A presque tous, à ceux qui résistent encore comme à ceux-là qui ne résistent plus, le visage de la France vaincue ne se montrera que plus tard, aux heures de silence. Chacun s'use aujourd'hui contre un détail vulgaire qui se révolte ou se délabre, contre un camion en panne, contre une route embouteillée, contre une manette des gaz qui coince, contre l'absurde d'une mission. Le signe de l'écroulement est que la mission se fasse absurde. C'est que se fasse absurde l'acte même qui s'oppose à l'écroulement. Car tout se divise contre soi-même. On ne pleure pas sur le désastre universel, mais sur l'objet dont on est responsable, qui seul est tangible, et qui se détraque. La France qui croule n'est plus qu'un déluge de morceaux dont aucun ne montre un visage ; ni cette mission, ni ce camion, ni cette route, ni cette saloperie de manette des gaz.

 

Certes une débâcle est un triste spectacle. Les hommes s'y montrent bas. Les pillards se révèlent pillards. Les institutions se délabrent. Les troupes, gavées d'écœurement et de fatigue, se décomposent dans l'absurde. Tous ces effets, une défaite les implique comme la peste implique le bubon. Mais celle que vous aimez, si un camion l'écrase, irez-vous critiquer sa laideur ? »

 

  

         

        Dans cet extrait, Antoine de Saint-Exupéry développe une réflexion sur la défaite et sur ses conséquences. Cette réflexion très riche est portée par de nombreux passages. Nous allons vous donner notre vision de ces quelques phrases presque philosophiques.

 

            « La défaite non seulement divise l'homme d'avec les hommes, mais elle le divise d'avec lui-même » : dans cette citation, Saint-Exupéry veut faire comprendre que si on ne fait rien pour résister en cas de défaite, en plus de diviser le peuple, la défaite impacte le moral, la pensée, et donc la vie de chaque homme. L’homme qui perd se coupe de ses semblables, mais aussi de sa propre humanité.  

 

            « Pleurer sur la France serait déjà être vainqueur » : l'auteur dénonce au travers de cette citation la réaction des vaincus qui au lieu de résister et de lutter, préfèrent s'occuper de leurs problèmes personnels et ne se lamentent pas sur la défaite de leur pays. Pour Saint-Exupéry, résister, c’est ne pas accepter la défaite de la France. C’est se révolter, au moins intérieurement, contre elle. Et donc pleurer. Ne pas pleurer, c’est accepter la défaite comme une fatalité. Et croire que la victoire n’est pas possible.

 

            « Chacun s'use aujourd'hui contre un détail vulgaire qui se révolte ou se délabre, contre un camion en panne, contre une route embouteillée, contre une manette des gaz qui coince, contre l'absurde d'une mission » : cette citation complète la précédente. Elle nous donne des exemples de problèmes personnels dont les vaincus défaitistes préfèrent s'occuper plutôt que de s’attaquer au problème collectif, la défaite de la France. Saint-Exupéry pointe ici du doigt le déni dans lequel de nombreux Français se seraient enfermé en mai-juin 1940. Et qui serait responsable de la défaite : « on ne pleure pas sur le désastre universel, mais sur l'objet dont on est responsable, qui seul est tangible, et qui se détraque ».

  

            « Tous ces effets, une défaite les implique comme la peste implique le bubon. Mais celle que vous aimez, si un camion l'écrase, irez-vous critiquer sa laideur ? ». Dans cet extrait puissant, Saint-Exupéry formule une question pour que le lecteur comprenne que même écrasée par la l'Allemagne, la France reste encore belle et conserve ses valeurs. Cette phrase résume presque toute la pensée résistante contenue dans Pilote de guerre : il nous explique ici que la France va certes très mal en 1940, mais qu’elle garde toujours sa force et sa beauté malgré la défaite. Et qu’il faut continuer à l’aimer, qu’il faut désirer se battre pour elle afin qu’elle se relève. Cela fait écho à l’appel du 18 juin 1940 par le Général de Gaulle.

 

Affiche de l’appel du 18 juin 1940 par le général De Gaulle placardée à Londres

Affiche de l’appel du 18 juin 1940 par le général De Gaulle, placardée à Londres

 

 

Conclusion

 

         Pilote de guerre d’Antoine de Saint-Exupéry est un véritable moyen de résistance. Ce roman a permis de donner une meilleure image de la France aux Américains et, également d'informer à l’étranger de la situation en France occupée.

 

Ce livre, par ses réflexions, a aussi permis de faire renaître un espoir de victoire et d'encourager les Français vaincus à la résistance grâce à la remise en question du lecteur. En mettant l’accent sur ses erreurs, il le pousse à réaliser qu'il y a encore un espoir.

 

Saint-Exupéry, par son œuvre littéraire au grand succès, a joué un vrai rôle, au moins psychologiquement, dans la mise en place d'une résistance en France .

  

Saint-Exupéry écrit à sa table de travail Etats-unis New Yprk

Saint-Exupéry à sa table de travail pendant son séjour aux états-unis.

 

 

 

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A LIRE ET A VOIR SUR LE SUJET

 

 

Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de Guerre, version intégrale disponible en ligne  gratuitement, éditée par les « Bourlapapey ».

 

«  Pilote de guerre  », fiche bibliographique sur le site de la Fondation Saint-Exupéry

 

Bernard Marck, Antoine de Saint Exupéry - Tome 2 - La gloire amère (1937-1944), L'Archipel,‎ 2012, 528 p. 

 

«  Saint-Exupéry, le dernier chevalier du ciel  », un film documentaire de Denis Sneg pour RMC Découverte (2014), produit par BBC Worldwide 

 

 

 

 

 Partie réalisée par Florian DIETRICH et Sylvain FAURE

 

  


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