PIERRE DAC : UN RÉSISTANT DE L'HUMOUR SUR LA BBC

Photographie de Pierre Dac prise à Londres (date inconnue)

Pierre Dac, de son vrai nom André Isaac, est né le 15 Août 1893 à Chalons sur Marne. Il est mort le 9 février 1975 à Paris. Il fait partie des soldats rescapés de la Grande Guerre, de laquelle il a vécu les 4 années, subissant quelques blessures graves.

A partir des années 1920 il devient comédien et humoriste. Grâce à quelques émissions de radio comme La Société des Loufoques, il rencontre un grand succès dans les années 1930. Il fonde en 1938 un journal humoristique, L’os à moelle, très anti-hitlérien. Au moment de la débâcle en juin 1940, il doit donc quitter Paris et se réfugie à Toulouse, dans la région de notre Lycée.

Plaque commémorative située au 42 Bd de Strasbourg, à Toulouse (crédits : lesplainesdusurdiland.wordpress.com)

 Dès 1941 il décide de rejoindre Londres, mais il est arrêté deux fois lors de ses traversées des Pyrénées : il est incarcéré d’abord à Perpignan puis à Barcelone ou à Valence. Il finit par être échangé par les Espagnols aux Anglais contre quelques sacs de blé. Il peut ainsi rejoindre Alger, puis se rendre à Londres en 1943. C’est là qui utilise sa meilleure arme, l’humour, pour résister. Comment ?

I/ Pierre Dac sur les ondes de la BBC 

Dès que Pierre Dac rejoint l’Angleterre, il entre dans l'émission « Ici Londres : Les Français parlent aux Français ». Il y intervient pour la première fois le 23 octobre 1943, pour critiquer fortement le régime de Vichy. Voici un extrait de cette première intervention :   

Une du recueil « Drôle de guerre : de Radio Londres à l’Os Libre » (édition moderne de 2008 - Omnibus)

         Il a souvent de vives altercations à distance avec Philippe Henriot, un collaborationniste qui fait des discours dans des émissions de propagande sur Radio-Paris, aux mains des Allemands. Ainsi, Le 10 mai 1944, Philippe Henriot souligne sur Radio-Paris les origines juives de Pierre Dac, et dit que d’après lui un « fils de Salomon » ne peut « rien connaitre à la France ». L'humoriste lui répond le lendemain sur Radio-Londres, en rappelant que son frère Marcel, décédé au front en 1915, a bien sur sa tombe l'inscription « Mort pour la France », tandis que celle de Philippe Henriot devrait porter la mention « Mort pour Hitler, fusillé par les Français ». Une vidéo mise en ligne par le CRIF, sur Youtube, permet de revivre aujourd’hui cet échange à distance.

Une partie de l’équipe française de la BBC, sans Pierre Dac (de g. à dr. :Jacques Duchesne, responsable des programmes, Jean-Jacques Mayoux, André Gillois, Maurice Schumann, Jean Oberlé et Geneviève Brissot)

Photographie anonyme : des Français, en zone occupée, écoutent Radio-Londres

Pierre Dac est alors en couple avec une jeune française rencontrée en 1934, qui est cependant restée en zone occupée. Par ses interventions sur les ondes de la BBC, dirigées contre les Allemands et Vichy, il le met en danger. A tout moment, elle peut se faire arrêter par la Gestapo et/ou la milice française, alors au service des Allemands. Cela montre que même si Pierre Dac intervenait depuis Londres, il prenait de vrais risques et faisait preuve de courage.

Photographie de la femme de Pierre Dac, Dinah Gervyl

II/ Une chanson humoristique résistante de Pierre Dac

Nous avons choisi de vous présenter une des nombreuses chansons humoristiques chantées par Pierre Dac sur les ondes de la BBC. Son texte, très drôle et très irrespectueux, nous a beaucoup plu. 

La musique est presque anecdotique ici. Elle repose sur de simples percussions qui donnent un air militaire à la chanson. Le plus important, c’est donc le texte.

Au début des paroles, l'expression qui décrit « Pétain » sur « son balcon » nous fait comprendre qu'il n'est pas dans la réalité, qu’il prend trop de hauteur. Pierre Dac veut montrer par ces quelques mots que le Maréchal est un personnage hautain, qui regarde son pays comme un roi contemple son royaume. 

 Ensuite, il s’attaque à de nombreuses personnalités de l’époque, qui sont tous des collaborationnistes proches de Pétain : « Paul Marion » (membre du gouvernement de Vichy, ministre de la propagande), Fernand « de Brinon » (un des agents de la collaboration avec les Allemands : c’est l’ambassadeur de Pétain auprès des Allemands), Joseph « Darnand » (fondateur et dirigeant de la Milice française), Jacques « Doriot » (créateur de la LVF, qui combat sous l’uniforme allemand), Pierre « Laval » (second homme le plus important du Régime de Vichy) et Philippe « Henriot » (un des orateurs de Radio-Paris, propagandiste de Vichy, grand « ennemi » radiophonique de Pierre Dac). Il les compare à des « cochons », et les traite de « faux-jetons », c’est-à-dire de traitres et de peureux. Il leur reproche en fait leur proximité avec les nazis, et de trahir la France. 

De g. à dr. : Pétain, Marion, Brinon, Darnand, Doriot, Laval, Henriot.

« Y'a t'il des salauds parmi nous ? » peut-on entendre ensuite. Pierre Dac fait parler ici Pétain sur un ton grossier, pour lui donner une image négative. Il le fait aussi passer pour quelqu’un qui ne prend pas conscience de ses défauts, de ses abus.

Pierre Dac donne après la parole aux collaborateurs, qui répondent à leur chef : « Tous, tous, tous ! ». Par ces propos, Pierre Dac cherche à montrer que les proches de Pétain ont, eux, tout a fait conscience de ce qu’ils font. Et qu’ils savent être de « sales types ».  Par la répétition de « TOUS », il montre aussi qu'aucun collaborateur ne se dénonce personnellement : le ton employé est donc aussi ironique.

A la fin du texte, il évoque « la francisque » que les collabos tiennent à la main. La francisque est une arme des V-VIIIème siècles ressemblant à une hache double. Elle a été utilisée pendant la Seconde guerre mondiale comme symbole du Régime de Vichy. Une décoration reprenant la francisque, sous forme de médaille, était même décernée à l’époque par Pétain et les membres de son gouvernement.

Mais le passage le plus dur du texte se trouve à la fin. La phrase : « […] de tous ces fils de Pétain », peut se comprendre, par homophonie, comme « Tous ces fils de putain ». C’est une insulte à peine masquée, très vulgaire, qui montre la haine que Pierre Dac vouait aux collaborationnistes, peut-être plus encore qu’aux nazis. Il annonce d’ailleurs, de manière prémonitoire, la fin de ce ces traîtres (« il n'est restera guère »).

III/ Pierre Dac de nos jours : le film « La Guerre des ondes », de Laurent Jaoui

 Affiche du film "La Guerre des ondes Radio Londres" sur Pierre Dac (Laurent Jaoui) 

     Diffusé à la télévision le lundi 15 décembre 2014 sur France 3, le téléfilm « La guerre des ondes » cherche à présenter la vie de Pierre Dac au cours de ses années passées avant et pendant ses interventions à la BBC. L’humoriste y est interprété par Jean-Yves Lafesse.

        Nous l’avons regardé attentivement. Dans ce téléfilm, nous apprenons beaucoup de choses sur le fonctionnement de la BBC, mais surtout sur la rivalité avec Radio-Paris, représentée par Henriot. Celui-ci, ennemi intime de Pierre Dac, est décrit dans le film comme un collaborateur, payé par les Allemands pour présenter cette émission à leur gloire.

Durant le film sont reconstituées les différentes interventions de Pierre Dac à la BBC, mais aussi d’autres personnalités passant sur la radio.

Ce téléfilm de Laurent JAOUI est très intéressant et pertinent car il nous en apprend beaucoup sur la vie de Dac et sur son combat derrière un micro. Mais des éléments ont été romancés. Ce n’est pas un documentaire historique.

Conclusion

Pierre Dac a participé à la résistance grâce à ses nombreuses interventions sur la BBC, sous forme de chansons humoristiques, durant généralement quelques minutes. Celles-ci étaient basées sur l'humour, et visaient directement plusieurs personnalités importantes nazies ou collaborationnistes.

De nos jours, l’importance du combat de Pierre Dac durant la guerre n’a pas été oubliée, comme en témoigne le téléfilm de Laurent JAOUI. Ce qui montre que l’humour peut être une arme redoutable pour résister.

De nombreux humoristes actuels, se servant parfois de leur art pour dénoncer ou critiquer, comme Les Guignols de l’info, Bedos ou Guillon, doivent beaucoup à Pierre Dac et font vivre son héritage.

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A LIRE SUR LE SUJET

Pierre Dac, Un Français libre à Londres en guerre, Le Cherche midi, 1972, 316 p.

« La complainte des nazis par Pierre Dac, parodie de La romance de Paris de Charles Trenet », article d’analyse sous la forme d’un fichier PDF consultable en ligne (rédigé par un professeur d’Histoire-Géographie du Lycée Vincent d’Indy de l’académie de Grenoble).

A VOIR ET A ECOUTER SUR LE SUJET

Le téléfilm « La Guerre des ondes », de Laurent Jaoui. Avec Jean-Yves Lafesse, Olivier Massart, Laurent Gernigon (France, 2014, 95 min). Diffusé le lundi 15 décembre 2014 à 20 h 45 sur France 3.

Jean-Yves Lafesse dans le rôle de Pierre Dac  (Crédits : Capa Drama) 

Pierre DAC, "39-45 : Pierre DAC chante à Londres", double CD publié par EPM musique

Pochette du double CD : "39-45 : Pierre DAC chante à Londres"

« Les chansons de Londres : De novembre 1943 à juin 1944 (Versions originales) » : playlist des chansons d’humour résistantes de Pierre Dac, en écoute sur Deezer

 Partie réalisée par Erwan GAICH et Anthony DELPECH