GEORGES BERNANOS, UN AUTEUR EXILE EN RÉSISTANCE

Portrait de Georges Bernanos 1940

Portrait de Georges Bernanos (date et auteur inconnus : années 1940 probablement)

 

 

En 1974, André Malraux écrivait : « Si l'on dit de Georges Bernanos qu'il fut le plus grand romancier de son temps, nul n'est surpris ». Il partageait ainsi la pensée du Général De Gaulle, exprimée en 1943 : « Le Journal d'un curé de campagne [de Bernanos] est le plus grand roman français ».

 

            Parmi les écrivains qui se sont servis de leur plume pour résister, il existait des auteurs qui aujourd’hui sont mal connus du grand public. Comme Georges Bernanos, qui était pourtant un immense romancier. Nous avons voulu lui rendre hommage, en nous demandant en quoi il a résisté par la littérature en dehors de la France occupée.

 

 

I/ Qui était Georges Bernanos ?

 

      George Bernanos était un écrivain français, né le 20 février 1888 à Paris. Il grandit dans l'actuel département du Pas de calais, dans une famille religieuse et monarchiste (qui désirait donc le retour d’un roi à la tête de la France). Il mène des études de lettres puis commence à travailler dans un hebdomadaire royaliste, L'Avant-garde de Normandie, appartenant au groupe politique catholique et monarchiste « l'Action Française ».

 

Fiche matricule de Georges Bernanos Première Guerre mondiale 1914

Extrait de la Fiche matricule de Georges Bernanos indiquant ses citations durant la Grande guerre (source : A. 75 - Merci à Monique de http://pascaline-passions.forums-actifs.com/)

  

 

Vient la Grande guerre : il est reformé et n’aurait pas dû y participer, mais il décide quand même de s’engager en tant que volontaire. Il est plusieurs fois blessé, et reçoit la Croix de guerre avec étoile pour actes de bravoure (cf. fiche matricule ci-dessus). Cette expérience le marque fortement : suite à cette guerre qu’il trouvait malsaine, hideuse, il décide d'écrire un roman qui connait un grand succès, Sous le soleil de Satan, paru en 1926. Ce roman peint une galerie de personnages tourmentés, brûlés par la souffrance, à l’image de la société d’après-guerre. Ce succès lui permet de se consacrer pleinement à la littérature.

 

Georges Bernanos à la fin des années 1920  Sous le soleil de Satan

Georges Bernanos à la fin des années 1920 / Exemplaire de l’édition originale de Sous le soleil de Satan

 

 

Dans les années 1920, reconnu, il écrit dans le principal journal de « l’Action française », portant le même nom que ce mouvement d’extrême droite et nationaliste. Il y signe plusieurs tribunes. Ce qui explique qu’aujourd’hui encore, quelques intellectuels français reprochent à Bernanos son antisémitisme. Mais durant les années 1930, la pensée de l’écrivain évolue, et il se détache de « l’Action française ».

 

Action française mars 1929 Georges Bernanos

Une de l’Action française, le 1 mars 1929 : Bernanos y signe une tribune

 

 

En effet, en 1936, cet écrivain voyageur habite à Majorque, en Espagne, pour des raisons financières. Il assiste à la guerre civile espagnole, qui le choque. Rentré en France, il publie alors un essai en 1938, Les grands cimetière sous la lune, qui est un violent pamhplet anti-franquiste, anti-fasciste. Sa tête est même mise à prix par Franco, et il est dès-lors considéré comme étant un ennemi de la droite nationaliste, son ancienne famille politique (il avait quitté l’Action française en 1932).

  

En 1938, les régimes totalitaires triomphent en Europe : ce sont les accords de Munich, qui voient les Anglais et les Français céder face aux exigences d’Hitler, libre d’envahir la Tchécoslovaquie. Indigné par la faiblesse des politiques français, il quitte la France pour le Brésil réalisant un rêve d’enfance.

  

De là-bas, Bernanos répond à l'appel lancé le 18 juin 1940 par le général de Gaulle sur les ondes de la BBC, depuis Londres : "Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas".

  

Il entre donc en résistance littéraire depuis le Brésil. Il envoie régulièrement des articles résistants aux journaux brésiliens, et fait passer des messages à la BBC pour le programme de la radio intitulé : "Les Français parlent aux Français", une émission quotidienne radiophonique visant à soutenir la résistance via des messages "codés" en Français, diffusée du 14 Juillet 1940 au 31 août 1944.

  

            Dans ses écrits, regroupés après-guerre dans des recueils (les 4 tomes de Le Chemin de la croix-des-âmes, recueil de textes écrits à Rio de Janeiro de 1943 à 1945), il qualifie ainsi Pétain de « vieux traître » (dans l’article "La France se tait", en juin 1940), et il juge que sa Révolution nationale est une « Révolution des ratés » (dans l’article "Cinq appels aux Français", en février 1941).

  

            C’est ainsi qu’il est rapidement considéré par les résistants comme un héros, un soutien moral, qui a mis son talent d’écrivain au service de la lutte contre Vichy. Son fils a d’ailleurs participé au débarquement en Normandie.  Il rentre en France en 1945 et refuse tous les honneurs (la légion d’honneur, un poste de ministre, etc.). Il meurt en 1948 à l’âge de 60 ans.

  

Journal résistant « Combat » 1945 Georges Bernanos

 Une de journal résistant « Combat », en 1945, sur le retour en France de Bernanos (© Collection Viollet) 

 

 

II/ La « Prière à Jeanne d’Arc » : un texte résistant de Georges Bernanos

 

Nous allons à présent étudier un des textes de Georges Bernanos appelant à la résistance française. Il s’agit d’un texte peu connu mais qui nous a touchés : la « Prière à Jeanne d'Arc », écrite début 1941 au Brésil et diffusée en mai 1941 par la BBC, à Londres (source : La Revue Critique,  2013).

 

      C’est un texte engagé, écrit comme une prière personnelle lancée à Jeanne d’Arc de la part d’un écrivain très chrétien. Il faut aussi savoir que Georges Bernanos a épousé en 1917 une certaine Jeanne Talbret d’Arc (1893-1960), lointaine descendante d’un des frères de de Jeanne d’Arc. Mais cette prière, bien que très personnelle, est destinée à être découverte par un public large. Elle est publiée de manière posthume par Gallimard en 1971, dans l’intégrale Essais et écrits de combat, (collection La Pléiade). Le voici :        

 

 

 

 

PRIÈRE A JEANNE D'ARC

 

Vois la grande pitié qui est au pays de France. Va et délivre-le, Jeanne !

 

Jeanne, les chrétiens vous nomment Sainte et vous honorent comme telle, mais tout soldat français, croyant ou incroyant, a le droit de vous appeler Jeanne, car c'est sous ce nom-là que vous ont connue les gens de guerre.

 

Jeanne, nous savons bien que les honneurs ne vous ont jamais tourné la tête en ce monde, ils ne vous l'auront certainement pas tournée dans l'autre. Vous n'avez pas renié vos amis, votre place est toujours parmi les hommes d'armes. Nous parlerons aujourd'hui dans leur langage, le seul, avec celui de vos Saintes, que vous ayez compris et aimé.

 

Jeanne, nous vous apportons ce qui reste de l'Honneur français, afin que, posant sur lui les mains, vous lui rendiez la vie, comme vous avez jadis ressuscité le cadavre d'un petit enfant. Nous vous apportons aussi la Honte, car nous ne refusons pas notre part de honte. Ni dans l'Honneur, ni dans la Honte, nous ne nous séparons de la Nation.

 

Jeanne, l'ennemi est à Orléans, mais il est aussi dans la Ville du Sacre. Il tient Notre-Dame de Reims, Notre-Dame de Paris, Notre-Dame de Rouen, Notre-Dame d'Amiens, Notre-Dame de Chartres. Il fait boire ses chevaux dans la Seine, la Loire et la Meuse. Il est aussi dans votre petit village natal. C'est lui qui cueillera cet automne les mirabelles de Domrémy.

 

Jeanne, entre lui et nous ce compte est ouvert, et nous le réglerons tôt ou tard. Ce que nous implorons ce soir de Votre Grâce, c'est qu'elle ne nous laisse pas frapper dans le dos, qu'elle nous protège des Traîtres, des Lâches et des Imbéciles. Nous en appelons solennellement à vous devant Dieu, contre les Misérables qui, pour retarder l'heure du châtiment, offrent en hommage à l'ennemi, le nom et les morts de Verdun, mettent nos étendards en gage, et empruntent à la petite semaine sur l'Honneur de la Patrie !   

 

 

 

 

Livret résistant « Pour la France libre »  Chili 1942 Jeanne d’Arc

Livret résistant « Pour la France libre » imprimé à Santiago du Chili en 1942, utilisant la figure de Jeanne d’Arc (source : Delcampe)

  

Alors qu’il vit au Brésil, la nouvelle de la débâcle française, en juin 1940, atteint Bernanos en plein cœur et, comme il l’écrit alors, « la déception, la fureur, le désespoir des Brésiliens », très pro-français, retourne encore plus le couteau dans la plaie.

 

L’écrivain entame alors une série d’articles de presse contre le régime de Vichy, enregistre des allocutions pour la B.B.C et entre ainsi dans la Résistance par l’intermédiaire de la culture. C’est dans ce contexte que le 11 mai 1941, jour de la fête de Jeanne d’Arc, il enregistre sa « Prière à Jeanne d’Arc » pour la radio de Londres.

 

Ce texte se présente comme une supplique qui contient des premières traces d’espoir. C’est un appel à la Résistance qui utilise l’image d’un des mythes nationaux pour gagner en force.

 

Dans ce texte, Bernanos honore dans un premier temps les soldats qui se sont battus pour la France, et qui peuvent, quel que soit leur confession se retrouver dans l’héroïne de la Guerre de cent ans (« mais tout soldat français, croyant ou incroyant, a le droit de vous appeler Jeanne »).

 

C’est par la lutte armée, qu’ils pourront, selon lui résister à l’occupant. Et redonner son honneur à la France. En effet, Bernanos refuse la capitulation, l’armistice et le désir de collaboration de Vichy. Il appelle à un sursaut national en prenant l’image de Jeanne, qui avait été capable de ressusciter l’honneur de la France au moment ou il semblait perdu, quand les Anglais occupaient toute la France au nord de la Loire, au XVème siècle (« Jeanne, nous vous apportons ce qui reste de l'Honneur français, afin que, posant sur lui les mains, vous lui rendiez la vie »).

 

         Plus loin, l’écrivain insiste sur le parallèle qui existe entre la Guerre de Cent ans et la Seconde Guerre mondiale. L’occupation par les Allemands du nord de la France est ainsi évoquée en filigrane dans la litanie des cathédrales, lieux saints, fleuves et autres lieux que Jeanne en son temps a libérés (« Jeanne, l'ennemi est à Orléans, mais il est aussi dans la Ville du Sacre. […] Il est aussi dans votre petit village natal »).  Lorsque Bernanos indique que l’ennemi est partout, lorsqu’il évoque Orléans mais aussi Domrémy, lieu de naissance de la Pucelle d’Orléans, il fait le parallèle entre deux situations désespérées pour montrer que la lutte est possible. Si Jeanne a pu chasser les Anglais de France, ses héritiers résistants peuvent aussi inverser une situation qui semble impossible.

 

Cartes France 1429 France 1940

 

 

Le parallèle géographique se comprend bien si on compare deux cartes de la France : une en 1429, quand Jeanne d’Arc prend les armes, et une en 1940. La « Zone occupée » par les Allemands, définie par l’armistice de juin 1940, a une grande ressemblance avec les régions occupées par les Anglais (en jaune sur la carte de gauche) et les alliés bourguignons (en vert clair sur la carte de gauche) au XVème siècle.

 

Bernanos appelle donc à lutter en souvenir des actions héroïques de Jeanne d’Arc, et au nom des symboles de la France qui sont ici religieux (les cathédrales), géographiques (les fleuves).  Il faut libérer ces symboles qui représentent l’identité de la France, comme le fit, dans le passé, Jeanne d’Arc qui a réussi à gagner des batailles par sa foi en la victoire. Bernanos la choisit comme destinataire de sa prière car elle est connue par tous, et parce que son exemple montre aux Français qu’ils peuvent avoir la même force de résister qu’elle.

 

Enfin, dans le dernier paragraphe, Bernanos s’en prend aux « Traîtres, […] Lâches et […] Imbéciles ». Il fait ici allusion à ceux qui collaborent avec l’ennemi au sein du régime de Vichy, et qui sont en train de « les frapper dans le dos ». Cela renvoie à ce que fera quelques années plus tard la Milice française, qui arrêtera des résistants.

 

Il s’attaque aussi à Pétain, qui profite pour lui de l’admiration que lui vouent les Français du fait de ses victoires pendant la Première Guerre mondiale pour entraîner le pays dans la voie du renoncement. C’est, d’après nous, le sens du début du troisième paragraphe : « Jeanne, nous savons bien que les honneurs ne vous ont jamais tourné la tête en ce monde […]. Vous n'avez pas renié vos amis ». 

 

Il faut d’ailleurs savoir que la figure de Jeanne d’Arc, sur laquelle s’appuie ce texte résistant, est aussi beaucoup utilisée par le régime de Vichy. Comme sur l’affiche ci-dessous, datant de 1944, qui là encore fait un parallèle entre la Guerre de cent ans et la Seconde guerre mondiale. Cette affiche dénonce les bombardements des avions britanniques qui touchent la ville de Rouen, faisant 800 morts en avril 1944, en rappelant que les Anglais ont brûlé Jeanne d’Arc dans cette même ville en 1431.

 

Affiche de 1944 « Les assassins reviennent toujours … sur les lieux de leur crime »,

Affiche de 1944, « Les assassins reviennent toujours… sur les lieux de leur crime », auteur anonyme (crédits : Archives de la Seine Maritime)

 

 

Le but principal de Bernanos dans son discours est donc de défendre les valeurs humanistes qui sont pour lui au cœur de la culture française. Le pays est occupé, mais des forces doivent se lever pour résister.

 

 

 Conclusion

 

 Par ce texte fort et par son œuvre, Georges Bernanos a cherché à transmettre un message d’espoir. Il veut convaincre les auditeurs et les lecteurs de se comporter en Hommes libres. Avec lui, la littérature a été ainsi une véritable arme pour la France Libre, comme l’illustre la prière que nous vous avons présentée.

 

 

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A LIRE SUR LE SUJET

 

« La prière de Bernanos » : page du site internet de la Revue critique sur laquelle nous avons trouvé le texte analysé plus haut.

 

Site de l'Association Internationale des Amis de Georges Bernanos, créé en juillet 2010 et dédié à l'œuvre et à la vie de l'écrivain

  

Sébastien Lapaque, Sous le soleil de l'exil, Georges Bernanos au Brésil 1938-1945, Paris, Grasset, 2003

 

 

 

 Partie réalisée par Thomas ALIDIERES et Clara ESTER

 

 


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