ROSE VALLAND ET LA SAUVEGARDE DES ŒUVRES JUIVES

Rose Valland dans les années 1930

Rose Valland dans les années 1930 (date et auteur inconnus)

 

 

        Dans un autre article de ce site internet, nous avons présenté l’action de Jacques Jaujard, directeur du Musée du Louvre qui a résisté en sauvant des œuvres précieuses. Il a été aidé par de nombreux employés. Parmi eux : Rose Valland, qui a joué un rôle très important. Mais son action ne fut pas exactement la même que celle de son directeur. Comment Rose Valland a-t-elle résisté dans le domaine de l’art ? 

 

 

I/ Une biographie de Rose Valland

       

        Rose Valland est née le 1er novembre 1898. Décédée en 1980 à Ris-Orangis, elle fut une historienne de l’art, mais une résistante et une capitaine de l'armée française. Nous allons vous présenter dans cette partie son parcours atypique. 

 

Carte d'élève Ecole Nationale des Beaux-Arts de Lyon de Rose Valland 1922

 Carte d'élève Ecole Nationale des Beaux-Arts de Lyon de Rose Valland 1922

 

 

       Rose Valland à étudié à l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Lyon. Elle débute sa carrière dans les musées en 1931. Elle progresse vite : en 1936, elle devient la principale collaboratrice d’André Dezarrois, le conservateur du Musée du Jeu de Paume. Dans ce musée étaient conservées, avant la Seconde Guerre mondiale, des œuvres d’art contemporain.

 

Rose Valland André Dezarrois  Musée du Jeu de Paume 1935

Rose Valland, André Dezarrois et un gardien du Musée du Jeu de Paume en 1935.

 

  

            Le photographie ci-dessus, prise en 1935 par un auteur inconnu, est intéressante. Elle montre Rose Valland et son directeur de l’époque préparant minutieusement une exposition sur l’Art italien des XIXe et XXe siècles. Sur cette photographie, Rose Valland regarde l'objectif avec de la volonté, de la détermination. On y observe de nombreuses œuvres : la statue II Puro Folle d'Adalfo Wildt (1868- 1931), sur le socle de laquelle s’appuie Rose. Mais aussi l'Autoportrait de Felice Carena (1880-1966) que regarde André Dézarrois. Ces œuvres de grande valeur sont, au même moment, jugées comme étant « dégénérées » par les nazis en Allemagne.

 

L'art dégénéré, (de l'allemand : Entarte kunst) était un genre inventé de toutes pièces qui permettait au régime nazi d'interdire l'art « moderne » pour mettre en avant l'art classique. L'art classique, c’est-à-dire inspiré de l’art antique, symbolisait la pureté de la race. Mais pour Hitler et les nazis, les peintres modernes (expressionnistes, surréalistes, cubistes, etc.) étaient des peintres inférieurs, présentés comme des malades mentaux au service de l’URSS ou des juifs.  

 

La photographie ci-dessus montre donc que Rose Valland, avant la Seconde guerre mondiale, était passionnée par une forme d’art que les nazis détestaient. Ce qui explique en partie son action résistante.

 

 

II/ Rose Valland résistante

          

        En septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne. Jacques Jaujard, qui est alors sous-directeur des musées nationaux, craint les bombardements allemands sur Paris, et des destructions d’œuvre d’art. S’il fait mettre les collections du Louvre à l’abri hors de la capitale, il demande à Rose Valland, qui gère seule le Jeu de Paume depuis 1938, de placer les œuvres de son petit musée dans son sous-sol.

 

         Le destin de Rose Valland bascule en 1940 quand le Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), commandé par le colonel Kurt von Behr, s’installe à Paris. Ce service culturel nazi veut confisquer toutes les collections d’art juives, ainsi que celles des adversaires du Reich se trouvant en France. L’ERR cherche un lieu de stockage pour stocker les œuvres volées aux Juifs français : Jacques Jaujard est obligé de leur donner ce qu’ils veulent. Ce sera le Musée du Jeu de Paume, où l’ERR s’installe en octobre.

 

Colonel von Behr Musée du Jeu de Paume Paris Nazis

Le colonel von Behr fait visiter les locaux du Musée du Jeu de Paume à un officier allemand (Crédits : Bundesarchiv)

 

  

            Le 1er novembre 1940, Jacques Jaujard donne l’ordre à Rose Valland de rester à tout prix au musée du Jeu de Paume. Il compte sur elle pour faire l’inventaire de toutes les œuvres d’art volées par les nazis qui y passent, pour ensuite être envoyées en Allemagne. Il s’agit de « spoliation » (c’est-à-dire de l'appropriation volontaire et réfléchie des biens d'autrui). Les œuvres d’art confisquées sont donc d’abord concentrées au Jeu de Paume, où elles sont triées. Puis certaines sont envoyées en Allemagne, ou récupérées personnellement par des nazis hauts-placés, comme Goering.

 

Des œuvres d’art volées envoyées par train en Allemagne Musée du Jeu de Paume Rose Valland 1943

Des œuvres d’art volées, après être passées au Musée du Jeu de Paume, sont envoyées par train en Allemagne (1943 - http://rosevalland.eu/).

 

 

C’est là que débute l’action résistante de Rose Valland. Elle note tout ce qu’elle peut, en sténographie, sur les milliers d’œuvres d’art qui passent par le Musée du Jeu de Paume. Son objectif est de pouvoir garder la trace de ses œuvres, et de permettre de les retrouver lorsque l’Europe sera libérée des nazis. Elle fait aussi passer des rapports réguliers à Jacques Jaujard. Elle devient une vraie espionne : elle sait parler allemand mais fait croire qu’elle ne comprend pas cette langue pour que les officiers nazis ne se méfient pas d’elle.

 

       Dans un livre qu’elle a publié plus tard, Le Front de l'art (Défense des collections françaises, 1939-1945), elle écrit : « Tout ce que je voyais et entendais finissait par constituer dans le fichier de ma mémoire et de mes notes, une importante réserve, d’après laquelle je m’efforçais de connaître autant que possible les opérations et les projets de l’E.R.R. Tout était à surveiller et à retenir car on ne sait jamais sur le moment le détail qui comptera plus tard ». Voici un extrait des notes que Rose Valland a prises pendant la Seconde Guerre mondiale. 

 

Notes en stenographie de Rose Valland prises en 1940 Musée Jeu de Paume

Notes en sténographie de Rose Valland prises en 1940 (credits : http://musea.univ-nantes.fr/)

 

 

Les nombreuses notes qu’elle a prise sur les œuvres volées ont permis plus tard la restitution d'un très grand nombre d’œuvres d'art.  Mais elle a pris de grands risques pour y arriver. Elle a été surprise plusieurs fois, et même renvoyée quatre fois. Elle a subi des pressions, des menaces de mort. Mais malgré tout, elle s’est maintenue au Musée du Jeu de Paume et a mené sa mission à bien jusqu’au bout. Elle assiste durant toutes ces années à différents événements marquants, qui se trouvent tous dans les notes manuscrites qu’elle a pu écrire et que l’on appelle « les carnets de Rose Valland ». Ces carnets appartiennent aujourd’hui aux archives des musées nationaux.

            

Le 3 décembre 1941, Rose Valland note ainsi : « Visite du Maréchal Goering au Jeu de Paume le 2 décembre 1941. Visite de l'exposition des des œuvres d'art des collections juives expropriées. Aucun Français n'est admis à séjourner au Musée pendant ces visites. Goering emportera demain, dans son train particulier les statues provenant de l'hôtel Edouard de Rothschild […] et une cinquantaine de tableaux […]. Ce sont des tableaux impressionnistes appartenant à la Collection Rosenberg ».

 

Goering au Musée du Jeu de Paume le 2 décembre 1941, choisissant des tableaux volés

Goering (assis, à gauche) au Jeu de Paume le 2 décembre 1941, choisissant des tableaux volés pour sa collection personnelle

(crédits : Archives des Musées Nationaux).

 

 

On peut lire aussi, par exemple, sur la fiche du 28 novembre 1942 : « Il est parti du Jeu de paume le 29 octobre un envoi donnant l’impression dans son ensemble de fournitures d’ameublement. Le tout expédié à l’adresse suivante… ». 

 

Le 23 juillet 1943, elle assiste à une destruction d’œuvres d’art. Elle ne peut rien faire : « Les tableaux massacrés au séquestre du Louvre ont été ramenés au Jeu de Paume. Cinq à six cents ont été brûlés sous la surveillance allemande dans le jardin du musée de 11 h à 15 h… Impossible de rien sauver ! » 

 

III/ Rose Valland après la Seconde Guerre mondiale

 

         L’action résistante de Rose Valland ne s’arrête pas avec la guerre. Au contraire. Toutes les notes qu’elle a prises sur plus de 21.000 œuvres d’art doivent servir à retrouver les tableaux et sculptures volés.

 

Rose se rapproche des Alliés dès 1944. Elle leur indique où se trouvent les dépôts d’art, pour qu’ils soient épargnés par les bombardements. Elle leur indique aussi l’existence du train-musée 40044, pour que les Alliés récupèrent les 148 caisses qui s’y trouvent. 

 

La résistance française poussant un des wagons du train 40044 en août 1944 Rose Valland

La résistance française poussant un des wagons du train 40044 en 1944 pour l’empêcher de partir vers l’Allemagne avec ses œuvres volées.

 

 

            Surtout, après la guerre, elle participe à la récupération des œuvres volées. Beaucoup sont retrouvés grâce aux notes clandestine que Rose Valland qu'elle a pu prendre durant la guerre. Grâce à ces notes données à James Rorimer, le chef de la « Section américaine des spécialistes de la conservation », aussi appelés les « Monuments Men », les Américains ont eu connaissance des différents lieux où avaient été entreposées les œuvres confisquées. Grâce à elle, les hommes de Rorimer se rendent au château de Neuschwanstein, en Bavière, où la plupart des œuvres confisquées ont été déplacées par les Allemands.

 

Des soldats américains au Château de Neuschwanstein Lieutenant Rorimer

Des soldats américains récupèrent des tableaux volés au Château de Neuschwanstein. Le Lieutenant Rorimer se trouve au centre, un carnet à la main (mai 1945 – Getty Images)

 

 

            Rose Valland veut agir directement pour aider les Alliés à récupérer ce qui a été volé. En 1945, elle devient lieutenant « officier Beaux-Arts » et part enquêter dans la zone française d'occupation en Allemagne, pour identifier les biens qui s’y trouvent.

 

          En 1947, elle est nommée au « centre de collecte » pour la récupération artistique en Allemagne, et se rend dans toutes les zones d'occupation, même en zone soviétique où elle réalise des missions d'espionnage pour la France. Au péril de sa vie, elle en ramène de nombreuses œuvres, pour pouvoir les protéger de la Guerre froide qui s’annonce.

 

Rose Valland en uniforme de Lieutenant à Wiesbaden en Allemagne 1947

Rose Valland, à gauche, pose en uniforme de Lieutenant au « centre de collecte » des œuvres volées, à Wiesbaden, en Allemagne (1947)

 

 

Il faut savoir que Rose Valland a, pour son action résistante, inspiré deux films. D’abord Le Train, réalisé en  1964 par John Frankenheimer, qui raconte comment Rose Valland a aidé à ce que le train-musée 40044 n’arrive jamais en Allemagne. Et le film des Monuments Men, réalisé par Georges Clooney en 2014, qui suit l’action des hommes de James Rorimer et dans lequel Rose Valland est jouée par Cate Blanchett.

 

Monuments Men avec Matt Damon (Rorimer) et Cate Blanchett (Rose Valland)

Image extraite du film Monuments Men, avec Matt Damon (qui joue James Granger, inspiré de Rorimer) et Cate Blanchett (qui joue Claire Simone, inspirée de Rose Valland)

 

 

Si Rose Valland prend sa retraite en 1968, elle continue de travailler jusqu’à sa mort en 1980 à la restitution des œuvres qu’elle a vues passer au Musée du Jeu de Paume.

  

IV/ Critique d’une photographie de Rose Valland

Rose Valland dans la « Salle des martyrs » du Musée du Jeu de Paume

Rose Valland dans la « Salle des martyrs » du musée du Jeu de Paume

 

 

            Nous avons trouvé cette photographie sur internet, pendant nos recherches. Elle est présente sur de nombreux sites internet. Nous n’avons pas pu la trouver en meilleure qualité. Et nous ne savons pas exactement quand elle a été prise. Mais cette photographie résume bien, en apparence, l’action résistante de Rose Valland.

 

           En effet, Rose Valland se trouve dans la « salle des martyrs » du Musée du Jeu de Paume. C’est ainsi que les nazis eux-mêmes appelaient cette salle dans laquelle ils regroupaient les peintures d’art moderne volées aux Juifs. Leur but était d’échanger ces peintures « dégénérées » contre des œuvres d’art classique. Autrement dit, ici, Rose Valland se trouve devant les peintures qu’elle protégeait. Voici une autre photographie  de la même pièce, en meilleure qualité.

 

La salle des martyrs au Musée du Jeu de Paume entre 1940 et 1944

La "salle des martyrs" au Musée du Jeu de Paume, entre 1940 et 1944 (source : CNAC)

 

 

Nous pouvons constater, en comparant les deux photographies, que les tableaux se trouvent tous exactement à la même place. Et nous pouvons voir que l’angle de prise de vue est aussi le même. Il s’agit en fait d’un photomontage. Car, intrigués et orientés par notre professeur, nous avons trouvé ailleurs un portrait de Rose Valland pris en 1934, sur lequel elle pose exactement comme sur la photo dans la « Salle des martyrs ».

 

Rose Valland au Jeu de Paume en 1934

Rose Valland au Jeu de Paume en 1934 (Source : http://rosevalland.eu)

 

 La photographie de Rose Valland dans la « Salle des martyrs » est donc fausse, même si ce montage résume bien l’action résistante de cette femme. On sait cependant, grâce à ses notes, que Rose s’est souvent rendue dans cette salle. Il faut savoir pour finir que l’image de la « Salle des martyrs » seule a été précieuse à la Libération : car elle est la dernière trace que nous possédons de certains tableaux qui n’ont toujours pas été retrouvés. On peut y voir des œuvres de Cézanne (impressionniste), de Marc Chagall, de Picasso (cubiste) ou de Georges Braque (surréaliste).

 

 

             Conclusion

 

         Rose Valland a reçu, pour son travail et son action de résistante, de nombreuses décorations françaises et étrangères : la « Légion d'honneur », mais aussi la « Médaille de la résistance ». Les États-Unis lui ont remis la « Médaille de la liberté ». 

 

  En 2005, une plaque commémorative à son nom a été posée sur la façade du Jeu de paume au jardin des Tuileries.

 

Ces hommages montrent que Rose Valland fut une grande résistante. En résistant par l’art, elle est même devenue aujourd’hui un exemple pour les personnes chargées de protéger le patrimoine artistique en France et à l’étranger. 

 

 B.A du documentaire "L’Espionne aux tableaux, Rose Valland face au pillage nazi" (France 3 - 2015)

 

 

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A LIRE ET A VOIR SUR LE SUJET

 

 

Rose Valland, Le Front de l'art (1939-1945), éditions Plon, 1961 (réédition en 1997)

 

« L’Espionne aux tableaux, Rose Valland face au pillage nazi », un film de Brigitte Chevet (Aber Images / France 3) 

 

Corinne Bouchoux, Rose Valland, la Résistance au musée, Geste éditions, 2006.

 

Catel Muller (dite Catel), Rose Valland Capitaine Beaux-Arts, Bande-dessinée, Editions Dupuis, 2009

 

Rose Valland Capitaine Beaux Arts Bande Dessinée Catel

 

Le site internet de l’association « La mémoire de Rose Valland » : http://rosevalland.eu/

 

Présentation de la photographie « Rose Valland à la veille de la Seconde Guerre mondiale » sur le site internet http://www.histoire-image.org/

  

Le film Monuments Men de George Clooney (2014), avec Cate Blanchett dans le rôle de Claire Simone, personnage fictif fortement inspiré de Rose Valland.

 

Affiche du Film Monuments Men avec Rose Valland

 

 

 

 Partie réalisée par Léa RIVIERE, Fanny MOUTET et Valentin MARROT

 

 


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