GERMAINE TILLION : UNE OPERETTE A RAVENSBRÜCK

Germaine Tillion Ethnologue Résistante jeune

Photographie de Germaine Tillion jeune (crédits : herodote.net) 

 

 

   

        « L'humanité se compose de deux minuscules minorités : celle des brutes féroces, des traîtres, des    sadiques  systématiques  d'une  part,  et  de  l'autre  celle  des  hommes de grand courage et de grand    désintéressement qui  mettent leur  pouvoir,  s'ils en ont,  au service du bien. Entre ces deux extrêmes,    l'immense majorité d'entre nous  est composée de  gens ordinaires,  inoffensifs en temps de paix et de  prospérité, se révélant dangereux à la moindre crise ».

 

                                                                                                                                     Citation de Germaine Tillion en 1944

                                                                                        (parue dans Le diable est-il libéral ?, Belles lettres, 2001, p.14-15)

 

   

    La Seconde guerre mondiale fut caractérisée par la violence nazie, la mort de nombreux innocents, un déchaînement de violence encore jamais vu, mais aussi par la bravoure et le courage de certains citoyens français, tels que Germaine Tillion. Du calvaire de sa déportation à son œuvre écrite dans les camps, décrivant la douleur et la violence, nous allons vous présenter le combat résistant de cette femme hors du commun.

 

 

I/ La jeunesse de Germaine Tillion

 

       Germaine Tillion, née le 20 mai 1907 à Allègre en Haute-Loire en France, est française. Elle est la fille de Lucien Tillion, un juge de paix, magistrat, mort jeune quand sa fille n'avait que 18 ans, et d’Émilie Cussac, une éditrice de la librairie Hachette. Elle a une sœur de 2 ans sa cadette, Françoise.

 

Germaine Tillion enfant portant le costume de juge de son père

Germaine Tillion enfant, portant le costume de juge de son père

(source : http://www.autun.com/)

 

 

       Issue d'une famille bourgeoise républicaine catholique, elle reçoit une bonne éducation. Sa mère écrivant des guides bleus et touristiques, Germaine se familiarise à l'écriture en l'aidant. Majeure, elle fait des études supérieures en archéologie, histoire et ethnologie.

 

 

  II/ Sa déportation

 

          Pendant le début de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Germaine Tillion est en Algérie où elle aide les pauvres. De retour en France en juin 1940, elle est vite exaspérée par la réaction du gouvernement français fasse à l'envahisseur allemand, resté inactif devant Hitler et le laissant prendre possession de la France. Elle constate alors que, dans son entourage, la résistance se prépare secrètement.

 

       Elle s’y engage rapidement, dans le réseau dit « du musée de l'Homme ». C’est donc une résistante de la première heure. Mais elle et ses camarades seront trahis par un prêtre, ce qui provoquera son emprisonnement à Fresnes en 1942, puis sa déportation en 1943 au camp de concentration de Ravensbrück en Allemagne, camp réservé aux femmes et enfants. Les femmes y sont violentées, violées, et soumises au travail forcé jusqu'à l'épuisement. Les femmes trop faibles sont tuées par balle, gazées (comme, par exemple, la mère de Germaine Tillion). Les femmes juives, elles, sont directement envoyées au camp d’extermination d'Auschwitz, sous l'ordre d'Himmler.

 

 

Baraquements du camp de Ravensbrück

Baraquements du camp de Ravensbrück (date inconnue)

 

 

Femmes au camp de Ravensbrück en 1939

Femmes au camp de Ravensbrück en 1939 (auteur inconnu)

 

 

         Dès 1943, Germaine Tillion analyse le système concentrationnaire dans lequel elle est emprisonnée. Elle estime qu’au vu des horreurs commises, il est essentiel que les survivants témoignent. Elle tient à pouvoir le faire, si elle avait la chance d’en faire partie. Elle mettra toutefois longtemps à publier ce témoignage, qui ne sortira qu’en 1988. Dans celui-ci, intitulé Ravensbrück, Germaine Tillion veut avant tout contrer une historienne remettant en cause l’existence d'une chambre à gaz au camp.

 

Le hasard, la colère, la volonté de dévoiler ces crimes et l'amitié avec d’autres déportées ont aussi donné à Germaine Tillion, alors qu’elle était encore prisonnière, l'envie d'apporter un peu de joie et d'humour au milieu de toute cette horreur. C’est pour cela qu’elle a alors composé Le Verfügbar aux Enfers, livret d'une opérette qui fut créé pour la première fois, en dehors du camp, en 2007 seulement.

 

Représentation du Verfügbar aux enfers de Germaine Tillion en 2009

Photographie d’une des représentations modernes du Verfügbar aux enfers, en 2009 (Mis en scène : David Unger)

 

 

III/ Son combat résistant dans les camps

 

A- Son œuvre

 

Couverture du Verfügbar aux Enfers de Germaine Tillion

Couverture du Verfügbar aux Enfers de Germaine Tillion (source : franceculture.fr)

 

 

     Le Verfügbar aux Enfers est une opérette-revue (l'opérette est un genre musical, mêlant comédie, chant et généralement danse) écrite clandestinement au camp de concentration de Ravensbrück au cours de l'hiver 1944-1945. Germaine Tillion n'en est pas la seule réalisatrice : toutes les femmes du camp ont participé à l'élaboration de cette œuvre.

 

      Le Verfügbar aux Enfers est une œuvre musicale pour le moins surprenante : en effet, cette pièce plonge le spectateur dans un univers joyeux remplie d’humour noir. Le ton est léger pour mieux dévoiler une réalité crue et violente. Cette œuvre fait partie des plus célèbres œuvres créées dans les camps.

 

En raison de la déshumanisation programmée par leurs bourreaux, ces femmes, dont Germaine Tillion, avaient choisi de répondre par le rire. C'est en réalité bien plus qu'une simple opérette : un moyen de survie, une sorte de nouvelle philosophie quotidienne. Via cette œuvre, Germaine Tillion et ses amies déportées faisaient une sorte de pied de nez à leurs gardiens : les nazis peuvent bien détruire leurs biens, les rendre esclaves et vouloir leur mort, ils ne pouvaient pas changer leur manière de penser. La répression allemande devenait alors inutile car malgré tous les efforts des SS ou de la gestapo, le rire existait toujours, la vie existait toujours chez ces prisonnières.

 

        L’œuvre fut écrite par Germaine Tillion, qui était restée cachée pendant plusieurs jours dans une caisse pour écrire Le Verfügbar aux Enfers avec l'aide de ses complices, qui lui fournissaient papiers, crayons et même leurs propres souvenirs pour les airs des chansons.

 

 Le titre de l’œuvre est fortement inspiré du titre Orphée aux enfers (écrit en 1858). Le texte initial se présente sous la forme d’un petit carnet d’une centaine de pages. Il fut sorti de Ravensbrück à la libération par les survivantes.

 

Carnet manuscrit du Verfïgbar aux Enfers de Germaine Tillion

Carnet manuscrit du Verfïgbar aux Enfers de Germaine Tillion

 

 

       En français, Verfügbar signifie « disponible ». Ce qui permet de comprendre l’état d’esprit des femmes déportées à Ravensbrück car le titre de l’œuvre signifie littéralement « disponible aux enfers ». Cela est significatif de l'existence qu'avaient les détenues dans le camp de concentration : une existence telle qu’elles se disaient prêtes à aller en enfer, si elles ne s'y pensent pas déjà.

 

        L'ironie de l’opérette et le ton léger de celle-ci respectent la promesse de Madame Tillion : « … nous pensons que la gaieté et l’humour constituent un climat intellectuel plus tonique que l’emphase larmoyante. Nous avons l’intention de rire et de plaisanter et nous estimons que nous en avons le droit, car nous sommes engagés corps et bien dans l’aventure nationale… » peut-on y lire.

 

         L’originalité de l’œuvre vient du fait que Germaine Tillion en reprend le titre, le Verfügbar, et invente une nouvelle « espèce » de femmes, les Verfügbar qui ne sont autres que les femmes du camp. Tillion dira même, en parlant des Verfügbar quelques années plus tard, toujours avec ironie : « cette nouvelle espèce zoologique [est] apparenté aux gastéropodes, car ils ont l’estomac dans les talons ».

 

 

B - La constitution de l’œuvre

 

Manuscrit de l'acte II du Verfügbar de Germaine Tillion

Manuscrit de l'acte II du Verfügbar (source : messagesbesancon.wordpress.com)

 

           

Sans soucis de représentation scénique réelle, Germaine Tillion introduit un grand nombre de personnages de détenus inspirés par ses compagnes et un personnage imaginaire, un savant ridicule. L’œuvre est chantée par trois types de chœurs différents : 

 

-  Le Chœur des Verfügbar, constitué des principaux personnages de la pièce et qui sont des détenues françaises.

 

-    Le Chœur des Julots, constitué des prisonnières de droits communs et des lesbiennes.

 

-    Le Chœur des cartes Roses.

 

 

L’œuvre est composée de 3 actes :

 

          - Acte 1 : Printemps : Le Naturaliste en est le centre, essayant d’imposer sa vision du Verfügbar comme nouvelle espèce naturelle, issue du croisement entre « un gestapiste et une résistance femelle ». Chaque proposition du Naturaliste est interrompue, illustrée ou contestée par des chants. Au milieu de l’Acte apparaissent les Julots, qui manifestent la différence des conditions qui existe au camp. L’Acte se finit sur le ballet des Cartes Roses, inspiré de la Danse macabre de Camille Saint-Saëns. Ce passage est très habile à notre goût, car nous avons là une forte caricature des scientifiques nazis et de leurs théories raciales de la part de Germaine Tillion.

 

         - Acte 2 : Été : Les Verfügbar travaillent au terrassement du camp. Le Naturaliste disparaît peu à peu. Cet Acte est marqué de chants mélancoliques ainsi que de descriptions fantastiques de repas. Les femmes y imaginent une autre vie.

 

          - Acte 3 : La scène se tient dans la salle de tri des vêtements des nouveaux prisonniers, où les Verfügbar trient le butin et où Germaine Tillion a écrit le texte, cachée. L’atmosphère est toujours à la Résistance mais plus sombre, marquée de façon plus concrète par les horreurs du camp et le risque de renoncement et de mort qui guettent chaque prisonnière.

 

          Selon nous, Le Verfügbar aux Enfers est la preuve même que le rire est plus fort que tout, que l'humour permet la vie et que la littérature est l'arme suprême contre la barbarie mais aussi que rien ne peut briser ni soumettre un esprit cultivé. Cette œuvre est la concrétisation du proverbe : « la plume plus forte que l'épée ». 

 

 

Extrait du spectacle "Le Verfügbar aux Enfers" de Germaine Tillion mis en scène par D.Stéfan en février 2011

IV/ Un hommage national à Germaine Tillion

Panthéonisation de Germaine Tillion le 27 mai 2015 à Paris

Photo de la panthéonisation de Germaine Tillion, le 27 mai 2015 à Paris (crédits : AFP / Martin Bureau)

 

           

          Germaine Tillion est décédée le 19 avril 2008 à Saint-Mandé dans le Val-de-Marne en France : elle avait 101 ans. Par la suite, elle fit son entrée au Panthéon le 27 mai 2015, aux côtés de trois autres résistants de la Seconde Guerre Mondiale : Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay.

 

 

   Conclusion

 

         Germaine Tillion, dans son combat pour la liberté, pour la justice, pour une France libre et pour dénoncer la barbarie nazie, utilisa la meilleure des armes : l'ironie. Et grâce à elle, elle fut une véritable résistante, car elle fragilisa le désir de déshumanisation des prisonniers par les nazis.

 

  

 

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A LIRE ET A VOIR SUR LE SUJET

 

 

Le témoignage est un combat : une biographie de Germaine Tillion, livre écrit par Jean Lacouture en 2000 (éditions du Seuil).

 

Quelques vidéos de scènes du Verfügbar aux Enfers sont disponibles sur le site de Aime le mot dit : http://aimelemotdit.wordpress.com/ravensbruck/le-verfugbar-aux-enfers/

 

 

 

 Partie réalisée par Jonathan ROUDY et Maryse PEREIRA

 

 


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